mardi 16 novembre 2010

Ah, je mordrais bien encore au creux de ton corps...

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 "Coume fai la miougrano au rai que l'amaduro,
Moun cor se durbiguè,
E noun poudènt  trouva plus tèndro parladuro,
En plour s'espandiguè."
Frédéric Mistral
                                                    



Le temps des grenades, le temps des kakis, le temps des oranges et des clémentines.... et le temps des marrons, des épis de maïs, des girolles et des potimarrons. Peut-on trouver saison plus belle et plus riche que l'automne ? Ne seraient-ce que toutes ces couleurs qui nous en mettent plein la vue, ce feu d'artifice flamboyant, ce soleil qui nous enveloppe d'une lumière et d'une chaleur homogènes. Le soleil d'été qui nous brûle nous fait suer et donne à nos épaules cette saveur si particulière, (- n'avez-vous jamais goûté votre épaule après un bain de soleil ?) nous l'aimons, mais il est rare qu'il dépasse la simple sensation épidermique. Le soleil d'automne, lui, parle à l'âme, il fait le tour de nous, nous caresse, nous cajole ; il est bienveillant, réconfortant, originel.
Le soleil n'est jamais si bon que lorsqu'il menace de disparaître. Ce n'est pas seulement parce que sa chaleur est différente, c'est aussi parce qu'il se fait rare en hiver, ou parce qu'il va se coucher le soir. Comme si nous ressentions inconsciemment sa perte.
J'ai mangé du soleil sous la forme d'un épi de maïs grillé aujourd'hui. Ce parfum de châtaigne, quand on y mord, alors que tout chaud encore il vient d'être oint de beurre .... C'est comment déjà l'expression ? ah oui, le petit Jésus en culottes courtes (ou en culotte de velours).... j'aimerais bien d'ailleurs que quelqu'un m'explique un jour d'où diable peut bien sortir cette expression. Anyway... N'en déplaise aussi au sens pratique, je me demande qui - hormis un bonhomme aussi étrange qu'un géant vert - a bien pu avoir l'idée d'inventer le maïs froid et en boîte quand il existe cette pure merveille.





Autre couleurs, autres grains. La grenade. Fruit qui me fascinait enfant lorsque ma mère me le préparait et m'apportait un bol rempli de rubis miroitants et translucides, plus étincelants les uns que les autres. Des années passèrent sans que j'y goûtas à nouveau, et je l'avais presque entièrement oublié - étonnamment - lorsqu'à Paris la floraison de produits à base de grenades - ou était-ce l'ami d'un ami qui l'évoqua ? - me rappelèrent un jour par hasard son existence, et tout un flot de souvenirs et de sensations enfouis ressurgirent. Je m'étonne encore que j'ai pu l'oublier, lorsque l'apparition de la grenade était toujours pour moi une fête.



   "E caminavo aqui, ma grand, crentouso
De tout ço qu'es mougu dins lou mounde dou sourne,
Lumiero que s'envai pèr sèmpre emé la soulo ajudo
D'uno miougrano dins si man que la counsolo.
    Acò  'ro dins lou sourne d'un vièi raconte
Un vèspre de Setèmbre, au coumençamen d'uno vido.
E iéu encaro d"aquéu sourne me coungouste
E de la rusco amaro di miougrano..."
(J.-C. Vianès)


"Miougrano" qui hante la littérature provençale, de La Miougrano Entreduberto de Theodore Aubaneu, (long poème d'amour courtois à lire ici en bilingue), à celle de Frédéric Mistral.
Etonnant que l'on ne considère pas le fruit du péché comme étant la grenade. N'est-il rien de plus tentant que cette grenade entrouverte, fruit défendu offrant sa promesse merveilleuse ? Car après tout le tout commença avec un fruit à grains, ou plutôt à pépins, "malum"- et c'est ce fruit qui conduisit Perséphone  à la faute. Grains de grenade ou pépins de grenade ? En tous les cas le christianisme l'a réhabilité, le faisant figurer maintes fois aux côtés de la Vierge dans ses représentations picturales, édulcorant sa symbolique  première d'amour et de fécondité.


http://www.rennes-le-chateau-archive.com/botticelli.htm
Pourtant quel hédoniste ne s'est pas perdu parmi les grains de grenade ?
Faire craquer ces petits rubis qui explosent entre les dents, ou simplement les avaler d'un coup et sentir leur forme lorsqu'elle glisse le long des parois de notre gosier.
Se perdre au plaisir de la grenade, c'est juste aussi faire rouler ces billes de rubis sous les doigts, après y avoir plongé à pleine main. 



Et tout le reste est littérature.....





Le temps des grenades, le temps des kakis, et le temps de la neige, aussi, il ne faut pas l'oublier...
Après un réveil pluvieux hier, quelle ne fut pas ma surprise en milieu de matinée de découvrir un tourbillon de flocons descendant du ciel lorsque je levais par hasard les yeux à ma fenêtre. Un temps parfait pour savourer et déguster tous ces merveilles automnales. 










Tandis que j'écris ce billet, les châtaignes grillent dans mon four, et j'attends avec impatience de me brûler les doigts à leur écorce. Les poser sur le torchon taper d'un coup sec du poing se brûler les doigts en pestant et passer une heure à retirer la petite peau qui s'est cachée dans les interstices, toujours en se brûlant et parfois même se piquant - car la petite peau pique, pour enfin se jeter dessus, et se brûler à nouveau la bouche en les dévorant encore fumantes, fatigués d'avoir dû attendre tout ce temps pour en goûter une.
Rituel qui se reproduit invariablement chaque année.
À moins que je ne les pèle toutes bien minutieusement, et les trempe dans un bol de lait avec un peu de sucre. Pour goûter le contraste qui s'offre alors entre leur extérieur durci au contact du liquide blanc et leur intérieur farineux et moelleux...

2 commentaires:

Steph a dit…

Quel post magnifique ! Je ressens au plus profond de moi (et en cette période particulièrement difficile, peut-etre encore plus...) cette impression que l'automne "parle à l'ame". L'automne a toujours été dans ma vie un moment spécial. Pour ne citer que les exemples les plus parlants, ma Mamou est morte le 8 octobre 2001, j'ai rencontré Luca en septembre 2004, je le quitte en novembre 2010... Comment ne pas me pencher davantage sur cette saison si particulière et si belle, et l'aimer profondément malgré toutes les tourmentes de la vie...?
La grenade est souvent dans la main du Christ car elle est le symbole de la Passion, ses "petites billes de rubis" rappelant aussi des gouttes de sang...
Gros bisous et merci pour ton amitié.

Jsparkenbroke a dit…

Merci ma puce.
c'est le moment où tout commence à mourir croit-on.... mais regarde le conte de Demeter et Perséphone.
Et puis je pense en te lisant ce passage d'un poème de Pablo Neruda, "Se Taire", que chante Marc Ogeret : "la terre nous dira peut-être que lorsque tout paraissait mort, tout en fait était bien vivant".... :)
http://ainoko.wordpress.com/2010/07/14/a-callarse-or-keeping-quiet-pablo-neruda/
Courage ma belle, mais je crois que toutes les deux aujourd'hui nous repartons de plus belle, et mordons à nouveau la vie à belle dents (c'était d'ailleurs un peu le thème de mon post ;)
Gros bisous et continuons sur cette belle lancée de vie

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