mercredi 23 février 2011

La magie de la violette

Hier s'est produit un phénomène pour le moins étrange.  
Un légume s'est devant moi, sous mon nez ébahi, transformé en violette. Oui, en violette. Je n'ai pourtant pas senti depuis longtemps de violette ou de parfum de violette, mon nez n'était pas encore sous les effluves d'une telle réminiscence. Et pourtant le parfum était là, net, fort - aussi fort que peut être le parfum de cette fleur, comme si une véritable violette odorante ou tout un bouquet se fût trouvé là. Je ne rêvais pas. J'ai porté plusieurs fois à mon nez le légume étonnant, senti et reniflé sans relâche, et bien oui, l'odeur était bien là, bien réelle. Un peu triste de devoir la perdre, j'ai quand même écrasé le fameux légume, l'ai mélangé à du fromage, et placé en hachis parmentier avec de l'agneau parfumé au ras el hanout. Il était plus que sûr que la violette s'envolerait, mais je n'étais pas non plus très chaude à l'idée de manger du ras el hanout avec de la violette, qui pour moi est une odeur froide et fraîche, bien différente du plat préparé. J'ai par contre laissé quelques bouts intacts de ce légume magique, mis au four aussi, et après cuisson, les papilles et le nez retrouvèrent cette même fraîcheur de violette, ce qui m'a laissée à nouveau plus que stupéfaite.
De quelle alchimie ou réaction chimique était-ce le résultat ? Mais pour sûr c'était bien plus précieux que du plomb transformé en or. 
Ma première violette de l'année fut donc une courge, j'ai bien dit une courge ... Perrault et la marraine fée faisaient des citrouilles des carrosses, et c'est une petite fleur malvacée et parfumée que j'eus moi.


 Première violette de l'année, que ma mère, religieusement chaque année m'apportait sur la paume de la main, ou délicatement pincée entre le pouce et l'index, et dont elle me faisait le don. Juste cueillie dans le froid d'une matinée d'hiver, fraîche entre les doigts et gardant avec elle ce parfum glacé qui lui est si particulier. Je n'aime tant la violette que lorsqu'elle est ainsi et me rappelle les frais sous-bois dans lesquels elle a éclos puis s'est épanouie, petite fleur de l'ombre. C'est cette fraîcheur si particulière qui porte en elle et évoque ce côté de renaissance et d'annonce d'un prochain printemps. Alors que le parfum de violette, dépourvu de cela n'est qu'un bonbon sucré, écoeurant, entêtant. Mais lorsque ce froid si particulier qui glace et transperce, comme une source glacée parcourant le long du corps, passe depuis les doigts qui l'ont cueillie, à l'instant, dans la cour froide, jusqu'à vos os qu'il transperce et glace à leur tout, et que ce pauvre petit parfum de l'ombre émerveille vos narines, c'est vraiment quelque chose d'extraordinaire, et que les mots ne peuvent suffire à raconter.
Violettes séchées, éparpillées ici et là, parmi les pages de livres, qui chaque fois furent les premières de l'année, et qui un jour, il y longtemps, furent ramenées des sous-bois de la Sainte-Victoire, et plantées à l'ombre, au pied d'un mur de notre maison.
Mais qui mieux que Colette pourrait parler des fragiles violettes ? de cette voix qui chante à l'âme ?


    "Et les violettes elles-mêmes, écloses par magie dans l'herbe cette nuit, les reconnais-tu ? Tu te penches, et comme moi tu t'étonnes ; - ne sont-elles pas, ce printemps-ci, plus bleues ? Non, non, tu te trompes,  l'an dernier je les ai vues moins obscures, d'un mauve azuré, ne te souviens-tu pas ? ... Tu protestes, tu hoches la tête avec ton rire grave, le vert de l'herbe neuve décolore l'eau mordorée de ton regard... Plus mauves... non, plus bleues... Cesse cette taquinerie ! Porte plutôt à tes narines le parfum invariable de ces violettes changeantes et regarde, en respirant le philtre qui abolit les années, regarde comme moi ressusciter et grandir devant toi le printemps de ton enfance !...
   Plus mauves ... non plus bleues ... Je revois des prés, des bois profonds que la première poussée des bourgeons embrume d'un vert insaisissable, - des ruisseaux froids, des sources perdues, bues par le sable aussitôt que nées, des primevères de Pâques, des jeannettes jaunes au coeur safrané, et des violettes, des violettes, des violettes ... Je revois une enfant silencieuse que le printemps enchantait déjà d'un bonheur sauvage, d'une triste et mystérieuse joie ... Une enfant prisonnière, le jour, dans une école, et qui échangeait des jouets, des images, contre les premiers bouquets de violettes des bois, nouées d'un fil de coton rouge, rapportées par les petites bergères des fermes environnantes ... Violettes à courte tige, violettes blanches et violettes bleues, et violettes d'un blanc bleu veiné de nacre mauve, - violettes de coucou anémiques et larges, qui haussent sur de longues tiges leur pâles corolles inodores ... Violettes de février, fleuries sous la neige, déchiquetées, roussies de gel, laideronnes, pauvresses parfumées ... O violettes de mon enfance ! Vous montez devant moi, toutes, vous treillagez le ciel laiteux d'avril, et la palpitation de vos petits visages innombrables m'enivre ... "
Colette, "Le Dernier Feu", in Les Vrilles de la Vigne.

Que la feuille de violette est belle elle aussi !

2 commentaires:

Anonyme a dit…

J'ai toujours bien aimé les violette, car quand j'étais petit, ma grande-mère me les donnait pour que je les gardasse pour qu'elles fleurissent. La violette me souviens beaucoup de la patience et du bon être.

Salut, Julie, c'est Guido ! =)

Anonyme a dit…

J'ai préféré te lire que lire Colette : écris plus souvent.

Samouche

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