mercredi 9 mai 2012

Fraîcheur

Tout est si vert après cette saison de pluie(s). Si frais, prêt à chanter la vie et le bonheur en ce beau mois de mai. Cette verdeur humide m'a fait repenser à ce poème de Hugo, le Hugo que j'aime - non pas que je n'aime pas le Hugo grandiloquent, je le trouve même bath", ou le Hugo intellectuel . Mais ce poème comme un autre tout aussi frais, "Le petit bout du petit ongle rose" - admirablement mis en musique par Julos Beaucarne, (ou même encore "Je ne songeais pas à Rose") me touchent par leur simplicité et leur justesse. Ils me rappellent la pureté de mon enfance et de mon adolescence lorsque je les découvrais, l'âme neuve, avec en moi un peu de la petite marquise ou de la fée sauvagine.

Elle était déchaussée, elle était décoiffée,
Assise, les pieds nus, parmi les joncs penchants ;
Moi qui passais par là, je crus voir une fée,
Et je lui dis : Veux-tu t'en venir dans les champs ?

Elle me regarda de ce regard suprême
Qui reste à la beauté quand nous en triomphons,
Et je lui dis : Veux-tu, c'est le mois où l'on aime,
Veux-tu nous en aller sous les arbres profonds ?

Elle essuya ses pieds à l'herbe de la rive ;
Elle me regarda pour la seconde fois,
Et la belle folâtre alors devint pensive.
Oh ! comme les oiseaux chantaient au fond des bois !

Comme l'eau caressait doucement le rivage !
Je vis venir à moi, dans les grands roseaux verts,
La belle fille heureuse, effarée et sauvage,
Ses cheveux dans ses yeux, et riant au travers.

in Les Contemplations.



 Moins connu que celui d'Hugo, mais dont certains passages ont cette même fraîcheur, voici un poème de Patrice de La Tour du Pin, extrait du recueil La Quête de joie, qui en a aussi certaines réminiscences.

Va dire à ma chère Ile , là-bas , tout là-bas,
Près de cet obscur marais de la Foulc, dans la lande,
Que je viendrai vers elle ce soir, qu'elle attende,
Qu'au lever de la lune elle entendra mon pas.

Tu la trouveras baignant ses pieds sous les rouches,
Les cheveux dénoués, les yeux clos à demi,
Et, naïve, tenant une main sur sa bouche
Pour ne pas réveiller les oiseaux endormis.

Car les marais sont tous embués de légende,
Comme le ciel que l'on découvre dans ses yeux,
Quand ils boivent la bonne lune sur la lande
Ou les vents tristes qui dévalent des Hauts-Lieux.

Dis-lui que j'ai passé des aubes merveilleuses
À guetter les oiseaux qui revenaient du Nord,
Si près d'elle, étendue à mes pieds et frileuse,
Comme une petite sauvagine qui dort.

Dis-lui que nous voici vers la fin de septembre,
Que les hivers sont durs dans ces pays perdus,
Que devant la croisée entrouverte de ma chambre,
De grands fouillis de fleurs sont toujours répandus.

Annonce-moi comme un prophète, comme un prince,
Comme le fils d'un roi d'au-delà de la mer;
Dis-lui que les parfums inondent mes provinces
Et que les Hauts-Pays ne souffrent pas l'hiver.

Dis-lui que les balcons ici seront fleuris,
Qu'elle se baignera dans des étangs sans fièvre,
Mais que je voudrais voir dans ses yeux assombris
Le sauvage secret qui se meurt sur ses lèvres,

L'énigme d'un regard de pure connaissance
Et qui brille parfois du fascinant éclair
Des grands initiés aux jeux de connaissance
Et des coureurs du large, sous les yeux déserts...

"La Légende" in La Quête de joie
Patrice de La Tour du Pin

mardi 8 mai 2012

Sweet Sir Galahad - Joan Baez




La Belle Dame sans merci . John Waterhouse

 Sweet Sir Galahad
came in through the window
in the night when
the moon was in the yard.
He took her hand in his
and shook the long hair
from his neck and he told her
she'd been working much too hard.
It was true that ever since the day
her crazy man had passed away
to the land of poet's pride,
she laughed and talked alot
with new people on the block
but always at evening time she cried.

And here's to the dawn of their days.

She moved her head
a little down on the bed
until it rested softly on his knee.
And there she dropped her smile
and there she sighed awhile,
and told him all the sadness
of those years that numbered three.
Well you know I think my fate's belated
because of all the hours I waited
for the day when I'd no longer cry.
I get myself to work by eight
but oh, was I born too late,
and do you think I'll fail
at every single thing I try?

And here's to the dawn of their days.

He just put his arm around her
and that's the way I found her
eight months later to the day.
The lines of a smile erased
the tear tracks upon her face,
a smile could linger, even stay.
Sweet Sir Galahad went down
with his gay bride of flowers,
the prince of the hours
of her lifetime.

And here's to the dawn
of their days,
of their days.

Play it, Sam

Nul ne Guérit de son Enfance

vendredi 10 février 2012

Serge Gainsbourg - La recette de l'amour fou 2

Congé au vent

Bonnard, L'atelier au mimosa


   A flancs de coteau du village bivouaquent des champs fournis de mimosas. A l'époque de la cueillette, il arrive que, loin de leur endroit, on fasse la rencontre extrêmement odorante d'une fille dont les bras se sont occupés durant la journée aux fragiles branches. Pareille à une lampe dont l'auréole de clarté serait de parfum, elle s'en va, le dos tourné au soleil couchant.
     Il serait sacrilège de lui adresser la parole.
   L'espadrille foulant l'herbe, cédez-lui le pas du chemin. Peut-être aurez-vous la chance de distinguer sur ses lèvres la chimère de l'humidité de la Nuit ?

"Seuls demeurent", in Fureur et mystère. René Char




samedi 4 février 2012

L'offrande à la Nature

 Dieu que la campagne était belle aujourd'hui !
Ce soleil merveilleux de début d'après-midi qui la réchauffait doucement, réchauffait la terre ; ces quelques parcelles gelées ici et là sur l'Yèvrette lorsque je la traversais en voiture direction la Touraine ; la lumière se jouant à travers les arbres dénudés. Tout était beau et tout respirait la vie malgré ce froid transperçant de l'hiver. Jusqu'au petit troupeau de chevaux que je croisais, la robe miroitant au soleil, l'un d'eux se relevant majestueusement de terre de ce mouvement noble et sauvage qui leur est bien particulier lorsque j'arrivais à leur hauteur. 
En moi montait alors naturellement cette poésie d'Anna de Noailles, "L'Offrande à la Nature". J'aime la poésie intimiste d'Anna de Noailles, elle est toujours pour moi comme une mélodie doucement murmurée, dans laquelle je me retrouve, surtout dans son recueil Le Coeur innombrable. Et j'y trouve toujours beaucoup d'apaisement. Ce poème c'est un peu de moi, mon portrait quelque part.

"Nature au coeur profond sur qui les cieux reposent,
Nul n'aura comme moi si chaudement aimé
La lumière des jours et la douceur des choses, 
L'eau luisante et la terre où la vie a germé.

La forêt, les étangs et les plaines fécondes
Ont plus touché mes yeux que les regards humains,
Je me suis appuyée à la beauté du monde
Et j'ai tenu l'odeur des saisons dans mes mains.

J'ai porté vos soleils ainsi qu'une couronne
Sur mon front plein d'orgueil et de simplicité.
Mes jeux ont égalé les travaux de l'automne
Et j'ai pleuré d'amour aux bras de vos étés.

Je suis venue à vous sans peur et sans prudence, 
Vous donnant ma raison pour le bien et le mal,
Ayant pour toute joie et toute connaissance
Votre âme impétueuse aux ruses d'animal.`

Comme une fleur ouverte où logent des abeilles
Ma vie a répandu des parfums et des chants,
Et mon coeur matineux est comme une corbeille
Qui vous offre du lierre et des rameaux penchants.

Soumise ainsi que l'onde où l'arbre se reflète
J'ai connu les désirs qui brûlent dans vos soirs
Et qui font naître au coeur des hommes et des bêtes
La belle impatience et le divin vouloir.

Je vous tiens toute vive entre mes bras, Nature,
Ah ! Faut-il que mes yeux s'emplissent d'ombre un jour
Et que j'aille au pays sans vent et sans verdure
Que ne visitent pas la lumière et l'amour... "

                                                            in Le Coeur innombrable.

mercredi 1 février 2012

Ne reste qu'un pot de miel et un goût amer dans la bouche

Ce n'était donc que pour un bref instant...  Alors après les Diana Ross, les Bonnie Tyler, ABBA, chantés à plein poumons pour s'exorciser, fredonner un peu de Guy Béart a son bon aussi.

Ce n'est jamais, jamais, jamais pendant,
C'est après que ça se passe
Les regrets vous entrent, rentrent dedans
Après que le fil se casse 


Sur le moment on est abasourdi
On se dit quoi, on se dit, on se dit
Je ne sais pas ce qui m'arrive à moi,
J'ai trop chaud, j'ai froid 


Qu'est-ce donc qui m'éveille ainsi autant
Et pourquoi soudain ce cœur battant
Je me retourne encore dans mon lit
Ta place a fait ce pli 


Ce n'est jamais, jamais, jamais pendant,
C'est après que ça se passe
Mon Dieu que c'était imprudent
De changer ainsi de place 


Ah si l'on avait su, l'on avait su
On aurait gardé notre coin perdu
Tous ce voyages que l'on s'est permis
Et tous ces amis 


Tant de mots perdus tant de regards
Et quand je t'ai conduite à la gare
On était libres tous deux c'est sûr
Pourquoi cette blessure


Ce n'est jamais, jamais, jamais pendant,
C'est après que ça se passe
Qui est le vainqueur, qui est le perdant
On en a perdu la trace 


Qui est parti, est parti le premier
Qui a couru après dans l'escalier
Qui a marché et qui est revenu
Ça ne compte plus 


Qui a fait mal et qui a trop souffert
Que m'importe, tout va de travers
Et l'enfant, l'enfant que tu aimais
Qui n'arriva jamais 


Ce n'est jamais, jamais, jamais pendant,
C'est après que ça se passe
L'amour, la vie, tout devient évident
La brûlure est là, vivace 


On s'appelle, on se dit Allo Allo
Souviens-toi du dimanche au bord de l'eau
De cette foire où tu as pris la fuite
Tout près du grand huit 


Tu riais, tu riais aux grands éclats
Je regardais ailleurs ce jour-là
Et j'ai beau regarder aujourd'hui
Je ne vois que la nuit 


Ce n'est jamais, jamais, jamais pendant,
C'est après que ça se passe
On n'a rien senti pendant l'accident
Rien senti de la menace 


On s'est dit au revoir en souriant
Copain-copain, tranquille, insouciant
Je t'ai serré un peu entre mes bras
On s'appellera 


Ce prochain rendez-vous manqué, grippé
Le veux-tu ? On va le rattraper
Tout cela vient trop tard, vient trop tard
Il est minuit et quart

lundi 23 janvier 2012

Serge Kerval


Avec la nouvelle année, et ses bonheurs qu'elle m'apporte, commencent les bonnes résolutions. Je débute enfin le blog Serge Kerval, depuis longtemps promis. Les chansons apparaîtront au fil des semaines, et au gré de mes humeurs. Bonne et belle découverte à vous. Et pour ceux qui le connaissaient déjà, j'espère vous toucher à nouveau par ses airs et ses ballades, de la Loire à Ouessant.
Je remets le lien du blog, mais il est facile de le trouver parmi les favoris de Feuilles.de.Tomates : http://sergekerval.wordpress.com/2012/01/22/hello-world/

jeudi 12 janvier 2012

Calendrier (ou comment ouvrir la porte à cette nouvelle ère)

CALENDRIER

  J'ai lié les unes aux autres mes convictions et agrandi ta Présence. J'ai octroyé un cours nouveau à mes jours en les adossant à cette force spacieuse. J'ai congédié la violence qui limitait mon ascendant. J'ai pris sans éclat le poignet de l'équinoxe. L'oracle ne me vassalise plus.  J'entre : j'éprouve ou non la grâce.
  La menace s'est polie. La place qui chaque hiver s'encombrait de régressives légendes, de sibylles aux bras lourds d'orties, se prépare aux êtres à secourir. Je sais que la conscience qui se risque n'a rien à redouter de la plane.
   "Seuls demeurent", in Fureur et Mystère, René Char.


C'est sous ces auspices que j'entre à mon tour dans cette nouvelle année qu'est 2012. Non plus la "nostalgie du possible", comme l'écrivait Tabucchi, mais bien cette fois le Possible, délivré de toutes chaînes et qui n'attend que de germer. J'ai ouvert ma porte au Possible et à la vie. Equinoxe d'un temps nouveau, même si je la célèbre un peu en avance, au plein coeur de l'hiver.
Et comme le chante Marc Ogeret dans sa reprise de Pablo Neruda ("Se taire"), "la Terre nous dira peut-être que lorsque tout paraissait mort, tout ensuite était bien vivant".
Il est des êtres qui étaient là pour croiser notre route, ne serait-ce que pour un court instant - même si l'on souhaite que cela dure un peu plus que le temps d'un bref instant. Profiter du bonheur durant cet arrêt, cette suspension du temps. Rencontre de deux êtres, fragilité du moment et fugacité du contact. 
Il n'y avait que Georges Mounin, pour en donner une si belle lecture/description.
   "Un jour ce vers vint à ma rencontre. Saurai-je dire pourquoi ? C'était tôt le matin, c'était la campagne, j'allais par de petits chemins. J'allais sans y penser à quelque humble besogne. La veille avait été une journée splendide et cela peut-être a compté. J'allais allègre et je marchais bon pas, certainement j'étais sans y songer tout prêt de mon poème. Mais rien de tout ceci n'explique pourquoi je vis dans ce vers ce que je n'y avais jamais encore aperçu. J'y vis soudain la douceur du geste, l'autre membre de la phrase éclipsé par l'éclat du mot équinoxe : j'ai pris sans éclat le poignet de l'équinoxe. Je vois ce geste, je me souviens maintenant de cette nuance qu'il y a dans la tendresse chaque fois que l'on prend - ou plutôt les rares fois - qu'on a pris,  non la main, mais le poignet d'une femme. Ce trouble, cet espoir de plus, cette confiance déjà. Il a fallu, venus je ne sais d'où je ne sais pourquoi vers ma joie de ce matin-là, des souvenirs d'amour et de femme, pour qu'un vers - un vaste poème, - naquît en moi. L'équinoxe a pris le visage des femmes auxquelles un jour j'ai pris le poignet, le visage qu'elles avaient quand je leur ai pris le poignet. Cette gravité. Cette sérénité. Cette tendresse. J'ai reconnu l'équinoxe, le plus beau visage du temps : arrêté dans sa trajectoire par l'émotion, par l'amour, par la poésie. Je vérifie maintenant l'exactitude émotionnelle de l'"équinoxe"; de cette image d'égalité des temps sidéraux, qui me suggérait à mon insu dans le tissu d'une phrase toute douceur, la paix dans l'écoulement du temps.
    J'ai pris sans éclat le poignet de l'équinoxe a dit le poète. C'est-à-dire : touché par la grâce poétique, par l'émotion salubre, je me sens accordé au temps au cours d'une opération ineffable et pourtant exprimée. C'est-à-dire : je suis heureux." ("Avez-vous lu Char?", in La Communication poétique)